Midsommar m’a tuer

Dans une Suède très attachée à ses traditions, de jeunes américains font l’expérience de ce qu’il ne faut surtout pas faire lorsqu’on est invité dans un festival post-Woodstock : prendre des photos interdites et pisser sur les arbres sacrés.

Précédé d’une réputation sulfureuse et objet d’une hype surdimensionnée, le très mystérieux Midsommar avait de quoi intriguer. La promesse du film ? Un voyage horrifique au cœur d’une bande de dingues adorateurs du solstice d’été. Aux commandes de ce trip mouvementé au cœur d’une Suède inondée de lumière (soleil de minuit oblige), on retrouve Ari Aster qui continue à creuser le sillon amorcé avec Hérédité, son précédent film, avouant ici son amour pour les rites en tous genres (sataniques dans Hérédité, païens dans Midsommar).

Dani, jeune fille traumatisée par un drame récent, a des doutes sur la solidité de sa relation avec Christian, son petit ami, trop proche de sa bande de copains. Histoire de se ressourcer, Christian entraîne Dani et ses potes en Suède afin d’assister aux célébrations du solstice d’été, festivités durant 9 jours. 9 longues journées durant lesquelles les 5 potes vont progressivement glisser dans le confort cotonneux des traditions scandinaves.

Sur le papier, Midsommar a tout de l’exercice casse-gueule : 2h27 d’un film lent, pictural, hypnotique. Et surtout un film horrifique sans aucun jump scare, empruntant sa structure aux slashers (« qui sera le prochain ? ») pour mieux s’en détacher (« très rapidement … on s’en fout »). Allez trouver un public type capable de supporter ce genre de film ! C’est probablement la raison pour laquelle chaque spectateur semble avoir un ressenti différent suite à la vision du film. Demandez à votre voisin de siège de cinéma quelle est la scène la plus dérangeante du film : vous pouvez potentiellement avoir 4 à 5 réponses différentes.

Alors autant le dire tout de suite pour ceux qui n’ont pas encore vu le film (pas d’inquiétude, je ne vais rien spoiler ici) : Midsommar n’est PAS un film d’horreur. Gore certes. Choquant oui. Dérangeant ô combien ! Mais il s’agit plus d’un drame couvrant le parcours d’une jeune fille se détachant d’un deuil dans une sorte de résilience hors norme. Sur cet audacieux statut de base, le film réussit un triple tour de force.

Premier tour de force : on ne voit pas passer les presque 2h30 car celles-ci sont habilement structurées en courts chapitres enchaînés les uns aux autres. Progressivement, on passe du point de vue de Dani à celui de Christian et sa bande de pôtes. Les deux points de vue vont se rejoindre lors de l’arrivée en Suède, au moment où on découvre, en même temps que les protagonistes, la communauté se préparant à célébrer Midsommar. Et enfin, le point de vue va peu à peu changer pour devenir le seul point de vue du spectateur assistant à une étude anthropologique de forts sympathiques rites païens.

Second tour de force : digérer des inspirations multiples sans que celles-ci soient pesantes. Je peux difficilement parler de la référence la plus évidente, The Wicker Man, n’ayant vu ni le film original, ni le remake (note pour moi-même : rattraper cet oubli de toute urgence). En revanche, les emprunts à Peter Greenaway et à Stanley Kubrick sont omniprésents. Bien que ce soit Shining qui soit le plus cité par les critiques, j’ai immédiatement pensé à 2001, l’odyssée de l’espace et à sa seconde partie. Comme 2001, la seconde partie de Midsommar transpose à l’image ce que vit son héroïne. Le spectateur partage ses sensations ainsi que ses choix. Ari Aster nous prend au piège en nous forçant à accepter l’inacceptable, à partager le ressenti de Dani. Chaque plan est un tableau vivant, millimétré, chorégraphié même. Et puisqu’on parle de tableau, Ari Aster truffe les décors du films de tableaux, dessins et fresques faisant référence à l’intrigue, s’assurant au passage un futur statut de film culte, nécessitant plusieurs visionnages pour découvrir les détails expliquant l’intrigue.

Troisième tour de force (et pas des moindres) : nous désarçonner en prenant le contre-pied de l’horreur traditionnelle. Sang, démembrement, monstre consanguin, torture et sexe sont au rendez-vous mais chaque scène choc est suivie ou précédée de scènes parfois plus dérangeantes. Là où un scénario classique de film d’horreur dévoilerait peu à peu les desseins des habitants de cette communauté isolée, Midsommar ne nous cache rien, comme si les images ultra-lumineuses ne laissaient aucune zone d’ombre : dès leur arrivée, Dani et ses amis savent qu’ils sortent de leur zone de confort. Ils viennent chercher autre chose et savent que cet autre chose peut choquer. Les réactions des uns et des autres aux premiers rites montrent bien le degré d’acceptation de l’horreur pour chacun. Dans un slasher classique, la bande de potes serait décimée un par un, méthodiquement, dans un climat de panique intense. Ici, au mieux, c’est la colère qui remplace la panique, voire même l’acceptation d’un autre mode de vie.

Le film hérite en France d’une incompréhensible interdiction aux moins de 12 ans. Malgré tout, je vous déconseille fortement d’y mener un enfant de moins de 16 ans, sauf si vous souhaitez le traumatiser à vie, bien entendu ! Midsommar a tout de même échappé à la censure grâce à plusieurs coupes d’une trentaine de minutes au total, portant la durée de la Director’s Cut (je l’espère disponible sur le futur Blu-Ray) à 3h ! J’attends déjà cette version avec impatience. Vivement le prochain solstice !