De Broca / Belmondo

Philippe de Broca / Jean-Paul Belmondo © DR

5 films. De Cartouche à L’incorrigible (et si l’on excepte Amazone, réalisé en 2000), la collaboration de Philippe de Broca avec Jean-Paul Belmondo aura duré 13 ans, de 1962 à 1975. De Broca a d’ailleurs volé Belmondo à la Nouvelle Vague (au grand désespoir de Jean-Luc Godard) pour le laisser filer au moment où Bebel devient maître de son propre destin (producteur exigeant que son nom apparaisse en haut de l’affiche, la fameuse « marque » Belmondo éclipsant le nom de ses réalisateurs).

Entre ces deux dates, le réalisateur et son acteur vedette signeront 5 comédies à succès. Mettons de côté Cartouche (premier succès du duo mais film historique populaire en marge de la folie des 4 autres opus) et Les tribulations d’un chinois en Chine (adaptation plus que libre d’un roman de Victor Hugo, dont la production fût motivée par le succès, un an auparavant, de L’homme de Rio), tous deux scénarisés par Daniel Boulanger, collaborateur fidèle de de Broca.

Attardons-nous plutôt sur les trois autres opus, portant chacun la patte de leurs scénaristes et dialoguistes respectifs : Jean-Paul Rappeneau (L’homme de Rio), Francis Veber (Le magnifique) et Michel Audiard (L’incorrigible).

De Tintin à Indiana Jones

Au début des années 60, Philippe de Broca démarre le tournage de L’homme de Rio après avoir refusé d’adapter Tintin au cinéma. Alors qu’on lui propose la réalisation de Tintin et la Toison d’or, de Broca n’y croit pas. Trop proche de la bande dessinée, le synopsis ne permet pas au réalisateur de laisser libre court à son imagination et de se libérer du carcan imposé par le personnage original.

Jean-Paul Belmondo et Françoise Dorleac / L’homme de Rio

De l’univers d’Hergé, de Broca gardera toutefois des statuettes sacrées (L’oreille cassée), une malédiction (Les sept boules de cristal) et un grotte secrète (Le Temple du Soleil). Vingt ans avant Les aventuriers de l’arche perdue (Steven Spielberg a toujours assumé cette filiation), L’homme de Rio pose les bases de la comédie d’aventure.

Le duo Rappeneau/de Broca s’accorde à merveille et nous offre un scénario travaillé dans les moindres détails. Le personnage d’Adrien Dufourquet, joué par Belmondo, entraîné dans une aventure qui le mènera de Paris à Rio, ne peut pas exercer un métier qui l’empêche de voyager. Après de nombreuses heures de recherche, Rappeneau et de Broca se rendent à l’évidence : seul un militaire en permission peut avoir la liberté de vivre une telle aventure.

Comme souvent (toujours ?) chez de Broca, l’action est déclenchée puis dirigée par le personnage féminin, Agnès, interprété ici par Françoise Dorleac. Jeune fiancée de notre soldat en permission, elle est aussi la fille du Professeur Villermosa, propriétaire d’une des trois statuettes maudites. On retrouvera cet élément déclencheur dans les deux autres films (par sa persévérance, Christine/Jacqueline Bisset décide du destin de l’oeuvre romanesque de François Merlin ; quand à Marie-Charlotte/Geneviève Bujold, elle va se révéler plus intelligente et machiavélique que le mythomane Victor Vauthier).

Une écriture mouvementée

11 ans après, Belmondo retrouve de Broca pour Le magnifique. Film pivot, mélangeant action, parodie et premiers essais de Jean-Paul Belmondo dans son rôle de Bebel, Le magnifique tient du miracle. Encore aujourd’hui, il n’a pas tant vieilli et son ton volontairement parodique a ouvert la voie aux OSS 117 de Michel Azanavicius. Pourtant, ce film emblématique d’un Belmondo au sommet de sa carrière partait avec un sérieux handicap : son scénariste.

Jacqueline Bisset / Le magnifique

Francis Veber est engagé comme scénariste et dialoguiste du film, avant même que celui-ci soit proposé à Philippe de Broca. Dès le début, les deux hommes ne s’entendent pas du tout. L’antipathie de ces deux forts caractères va atteindre son paroxisme durant l’écriture du scénario. La première partie du film, où l’on découvre un Bob Saint-Clar, aventurier poursuivi par les hommes de main du sinistre Karpof, porte assurément la signature de Veber : le rythme est soutenu, sans temps mort, dans un cadre paradisiaque (Acapulco). Philippe de Broca, lui aussi amoureux du dépaysement et de l’action non stop devrait se réjouir de cette situation. Mais voilà : comme dans tout film de de Broca, il y a une histoire d’amour. Et si l’on en croit le réalisateur, Veber n’aime pas trop les femmes.

Absentes de la filmographie des films de Francis Veber, elles sont omniprésentes chez de Broca. Aussi, dans la seconde partie du film, c’est de Broca qui reprendra la main sur le scénario pour faire apparaître Tatiana (Jacqueline Bisset) dans la vie de François Merlin, auteur de romans de gare, sous les traits de Christine, une jeune voisine étudiante. Ce désaccord est-il à l’origine du retrait du nom de Francis Veber (à sa demande) du générique du film ? Difficile de le dire. Dans ses mémoires, Veber expédie sèchement le cas de Broca en quelques pages, affirmant que le litige portait sur la participation de Daniel Boulanger à la réécriture du script, sans que Veber en soit informé. Pourtant c’est un autre collaborateur fidèle de de Broca, Jean-Paul Rappeneau en l’occurence, qui de son propre aveu serait venu réarranger le scénario du Magnifique pour donner plus d’importance au personnage de Christine.

Quoi qu’il en soit, le litige de Broca / Veber fût définitif : première et dernière collaboration des deux hommes, Le magnifique décida Francis Veber a réaliser ses propres scénarios, ce qu’il fit en 1976 avec son tout premier film : Le jouet.

Et Belmondo devient Bebel

Nouveau changement de scénariste/dialoguiste pour L’incorrigible. Pourtant ce film possède quelques points communs avec Le Magnifique réalisé deux ans auparavant. Le personnage interprété par Belmondo est un vrai rôle de comédie : picaresque, exubérant jusqu’au ridicule. Mais là où François Merlin matérialisait ses fantasmes à travers ses romans, le mythomane Victor Vauthier préfère nier le réel en vivant ses propres mensonges.

Genevieve Bujold / L’incorrigible

Contrairement à celui de L’homme de Rio ou du Magnifique, le scénario de L’incorrigible, n’est plus transcendé par l’aventure et le dépaysement. Victor vit ses nombreuses existences coincé entre Paris et Senlis. Débarrassé des décors d’Amérique du Sud, le rythme échevelé repose en grande partie sur les dialogues et les personnages secondaires imaginés par le duo Michel Audiard/Philippe De Broca. Victor Vauthier revient régulièrement vivre chez son oncle Camille, dans une roulotte bordant un terrain vague. Julien Guiomar, génial interprète du rôle de Camille, hérite des meilleures punchlines écrites par Audiard pour le film.

Qui dit plusieurs vies dit plusieurs femmes. On a d’abord du mal à entrevoir dans cette première partie d’exposition celle qui campera l’héroïne debroquienne (si personne ne le fait avant moi, je vais déposer de ce pas l’adjectif debroquien à l’INPI, ce qui validera également son orthographe hasardeuse).

Pas moins de quatre femmes se succèdent entre les bras de Bebel : Capucine, Elisabeth Teyssier (pas encore astrologue), Andréa Ferreol et (enfin !) Geneviève Bujold. 9 ans après Le roi de coeur, l’actrice retrouve son réalisateur et devient, peut être plus que Jacqueline Bisset et Françoise Dorléac avant elle, l’archetype de la jeune héroïne devenant maîtresse du jeu à la toute fin du film.

Flirtant avec le succès dès Tribulations d’un chinois en Chine (2,5M d’entrées au box-office), L’incorrigible n’arrive toutefois pas à égaler les 2,8M du Magnifique ni les 4,8M de L’homme de Rio). Suite à ce film, Belmondo va définitivement devenir Bebel entre les mains de Philippe Labro, Henri Verneuil et Georges Lautner, tandis que Philippe de Broca donnera naissance, toujours avec Michel Audiard au scénario et aux dialogues, à un futur grand classique de la comédie d’aventure : le dyptique Tendre poulet/On a volé la cuisse de Jupiter. Mais ça, c’est une autre histoire …

Références et ressources

Philippe de Broca / Jean-Paul Belmondo © DR
Philippe de Broca / Jean-Paul Belmondo © DR

Pour élaborer cet article et en l’absence de biographie officielle de Philippe de Broca, j’ai dû me tourner vers les multiples témoignages audio/vidéo présents en bonus dans les éditions des films.

  • Merci à Studio Canal d’avoir eu la bonne idée d’intégrer des commentaires audio du réalisateur aux éditions DVD de L’incorrigible et du Magnifique.
  • Merci également à TF1 Video dont on ne peut que louer la qualité de l’édition Blu-Ray de L’homme de Rio. On y retrouve en particulier les témoignages de Philippe de Broca et de Jean-Paul Rappeneau sur leur collaboration.
  • Je vous recommande la lecture de Que ça reste entre nous, biographie de Francis Veber.
  • Je vous recommande également de vous plonger avec délice dans le livre de souvenirs de Jean-Paul Belmondo, Mille vies valent mieux qu’une.
  • Il manque à cette liste une ressource iconique, indispensable, incontournable. Oui, je l’avoue, je n’ai pas (encore) lu Belmondo le magnifique, livre de Jérome Wybon consacré au tournage du film. Je vous promets de réparer cet affront au plus vite.